
A la bibliothèque de l'INSPE de Toulouse, pour la Nuit de la lecture, vous organisez une conférence sur la peur et les enfants au cinéma. Vous aimeriez utiliser un photogramme du film Le village des damnés, de Wolf Rilla, comme visuel annonçant la soirée sur la site de la Nuit de la lecture et des flyers.
Vous souhaitez savoir si vous pouvez invoquer l’exception pédagogique, sachant que l'intervenante est enseignante et que le lieu est une BU.
Notre service n’étant pas spécialiste des questions juridiques, nous vous conseillons de vous tourner vers des experts du domaine. Voici toutefois notre avis.
En droit français, toute œuvre est protégée par le droit d’auteur. Vous ne pouvez la reproduire ou la communiquer sans l’autorisation de l’auteur ou de ses ayants-droit :
Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.
Article L122-4 du Code de la propriété intellectuelle
Il existe des exceptions au droit d’auteur (Article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle), mais nous ne sommes pas certains que vous puissiez entrer dans ce cadre.
La jurisprudence exclue l’image fixe, la vidéo et l’audio :
À ce jour, les tribunaux interprètent l’exception de citation de façon restrictive, en la limitant aux œuvres textuelles (alors que la loi ne distingue pas selon la nature de l’œuvre et permet a priori de faire des citations de textes, mais aussi d’images, de documents audiovisuels ou sonores). Il est possible que la jurisprudence évolue sur ce point dans les années à venir. Mais pour l’instant, il est prudent de n’invoquer l’exception de citation que pour les textes, et d’obtenir les autorisations nécessaires avant d’utiliser un extrait de film, de musique ou d’image fixe.
Source: Véronique Ginouvès, Le chercheur veut utiliser un extrait d’une œuvre (exception de citation), Carnet de recherche éthique et droit sur Hypothèses, 26 juillet 2017
Toutefois des évolutions plus récentes montrent que pour des images animées l’exception de courte citation peut-être invoquée :
Podcast #2- L'exception de courte citation- 2e partie - Citer une oeuvre visuelle ? Joëlle Verbrugge avocate, 28 octobre 2019
Prudence néanmoins :
Pour avoir le droit de citer gratuitement un extrait audiovisuel (reportage, émission, film) dans un autre film (ou dans une exposition, un spectacle, un DVD), il faut que la citation d'extrait soit brève, qu'elle soit justifiée "par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l’œuvre" à laquelle est incorporé l'extrait, et il faut indiquer la source de l'extrait (CPI art. L. 122-5 et 211-3).
Dès lors que l'utilisation d'extraits audiovisuels ne répond pas à ces trois critères cumulatifs, les conditions de la citation ne sont pas remplies. L'utilisateur doit alors demander l'accord des personnes détenant des droits sur les extraits, et les rémunérer.
Source : Guide pratique du droit d'auteur. Anne-Laure Stérin. Maxima, 2011, page 413
La ou les œuvres citées ne doivent pas constituer l'intégralité de l’œuvre citante
Il faut qu'une œuvre existe pour justifier d'en citer d'autres à l'appui de celle-ci. Le simple agencement d'un ensemble de courtes citations n'est pas librement permis. Dans ce cas, il s'agit une anthologie, entrant dans la catégorie des oeuvres dérivées, supposant l'accord des auteurs des oeuvres empruntées.
Il est nécessaire que la citation soit intégrée au sein d'une œuvre construite et d'une consistance suffisante, aux fins d'illustrer un propos. L’œuvre nouvelle doit pouvoir résister à la suppression des citations. L'emprunt doit être accessoire à l'œuvre nouvelle.
Les juges écartent le bénéfice de l'exception de courte citation lorsque l'emprunt constitue en réalité l'élément principal de l’œuvre nouvelle.
Source : Extrait de Droit de citation (fr). La Grande Bibliothèque du Droit, 2014
C'est le Code de la propriété intellectuelle qui protège les droits d'auteur des oeuvres de l'esprit et prévoit l'exception pédagogique dans l'article 122-5 :
Lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire :
[...]
e) La représentation ou la reproduction d'extraits d'oeuvres, sous réserve des oeuvres conçues à des fins pédagogiques et des partitions de musique, à des fins exclusives d'illustration dans le cadre de l'enseignement et de la recherche, y compris pour l'élaboration et la diffusion de sujets d'examens ou de concours organisés dans la prolongation des enseignements à l'exclusion de toute activité ludique ou récréative, dès lors que cette représentation ou cette reproduction est destinée, notamment au moyen d'un espace numérique de travail, à un public composé majoritairement d'élèves, d'étudiants, d'enseignants ou de chercheurs directement concernés par l'acte d'enseignement, de formation ou l'activité de recherche nécessitant cette représentation ou cette reproduction, qu'elle ne fait l'objet d'aucune publication ou diffusion à un tiers au public ainsi constitué, que l'utilisation de cette représentation ou cette reproduction ne donne lieu à aucune exploitation commerciale et qu'elle est compensée par une rémunération négociée sur une base forfaitaire sans préjudice de la cession du droit de reproduction par reprographie mentionnée à l'article L. 122-10 ;
La difficulté ici sera peut-être de justifier le caractère d'illustration dans le cadre de l'enseignement et de la recherche.
Par ailleurs, Anne-Laure Stérin indique :
l’exception pédagogique n’a pas été pensée pour les bibliothèques, et ne leur est pas destinée. Les textes définissant le régime de l’exception pédagogique ne mentionnent jamais les bibliothèques : non parce qu’elles seraient sous-entendues comme relevant évidemment de son champ d’application (ce qu’on pourrait légitimement penser), mais parce qu’elles en sont absolument exclues.
Source : L'exception pédagogique est-elle applicable en bibliothèque ? » Anne-Laure STÉRIN. Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2011, n° 3, p. 42-45.
Pour conclure :
Il vous appartient d'évaluer le risque juridique. En effet, dans un article intitulé "Faut-il respecter le droit en bibliothèque ?", Lionel Maurel déplore que la prise de risque juridique ne soit pas assez "ancrée dans la culture professionnelle en France, alors qu’elle fait partie intégrante du processus de décision dans les pays anglo-saxons".
Source: Faut-il respecter le droit en bibliothèque ? Lionel Maurel. Bulletin des bibliothèques de France, n° 3, 2011
Veuillez noter que cette réponse n'a pas de valeur juridique.
Pour aller plus loin :
La protection des photographies de tournage. Livres-Hebdo, Emmanuel Pierrat, 12/04/2021