Un élu peut-il imposer le choix d'une exposition ?

Réponse de l'Enssib

Date de la réponse

Vous vous interrogez sur la possibilité pour un élu d’imposer une exposition au sein de votre bibliothèque, alors même que l'intérêt culturel de cette dernière ne vous semble pas en adéquation avec vos objectifs.

 

Pour vous répondre, nous nous appuyons notamment sur Se positionner dans sa collectivité : Vademecum à destination des personnels de bibliothèque. ABF. Septembre 2015 - 3e édition, novembre 2023 :

 

I. Compétence légale et légitimité élective
Les missions et activités des bibliothèques territoriales sont encadrées par la loi du 21 décembre 2021 relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique. Cette loi, dite loi Robert du nom de la sénatrice Sylvie Robert qui l’a proposée, a enrichi le Code du patrimoine d’articles définissant les missions, activités et principes des bibliothèques en conformité avec les principes du service public [...]

Le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales leur permet de définir leur propre politique de lecture publique, mais désormais conformément aux principes édictés dans cette loi. Les fonctionnaires et autres agents publics sont tenus d'appliquer la politique définie par les élus, tout en pouvant le cas échéant pratiquer l'aide à la décision. 

 

Ce vademecum rappelle également que :

 

La lecture publique accède véritablement au statut de politique publique quand elle fait l'objet d'une décision. Il appartient aux professionnels de faciliter la prise de position en l'éclairant le mieux possible par des faits et des propositions d'orientation. C'est pourquoi il est bon que la bibliothèque fasse l'objet de décisions, qui maintiennent sa visibilité.
Cela peut concerner de grands dossiers comme un projet de création ou de rénovation de bâtiments, ou bien la tarification, les horaires d'ouverture, une démarche de partenariat ou une mise en réseau intercommunale. Mais on peut aussi transformer en objet de validation – qu’il y ait eu vote ou non - ce qui relève d'une activité quotidienne ou régulière : un programme d'actions culturelles par exemple. 

 

Nous vous recommandons par ailleurs la lecture de l’article de Jean-Marc Vidal : Instaurer un dialogue entre l’élu et le bibliothécaire de Jean-Marc Vidal in Communiquer ! Les bibliothécaires, les décideurs et les journalistes. Sous la direction de Jean-Philippe Accart. Presses de l'Enssib. 2017. Nous y avons relevé les éléments suivants :

 

Dans le cadre municipal, la bibliothèque existe par la conjonction de la volonté de l’élu et du travail du bibliothécaire. En droit, ils sont chacun porteurs d’une légitimité, démocratique pour le premier, professionnelle pour le second. En fait, la qualité de leur collaboration est déterminante pour assurer une définition précise des objectifs de la bibliothèque et une juste appréciation des moyens qui lui sont affectés [...]. La tension sur les budgets des collectivités territoriales contribuant à renforcer l’acuité de la question, il est nécessaire de formuler clairement ce qu’est aujourd’hui la responsabilité partagée de l’élu et du bibliothécaire et d’évoquer quelques pistes visant à nourrir leur indispensable dialogue [...]. 

Au quotidien, les formes et la qualité de la relation entre le bibliothécaire et l’élu déterminent l’efficacité du travail mené. Certaines attitudes, professionnelles et humaines, sont porteuses de coopération et doivent donc être favorisées. Elles visent à construire une connaissance et une confiance réciproque, ainsi qu’une collaboration respectueuse des rôles de chacun, par-delà une éventuelle hétérogénéité des cultures et des parcours [...].

La communication directe est indispensable car elle permet la constitution d’un socle relationnel sur lequel peut se développer un travail commun [...]. Dans la relation directe, l’attitude à adopter est à la fois celle de l’écoute et celle de la proposition. Écoute active, attentive, ouverte, qui valorise l’interlocuteur au-delà de la reconnaissance formelle de sa légitimité, et dans le même temps affirmation, sereine et argumentée, de ses propositions. C’est dans le respect par chacun du rôle de l’autre que cette relation peut se construire. Chacun jouant pleinement son rôle (mais pas plus) permet à l’autre de jouer le sien. La position de l’élu doit être de fixer les grandes orientations, de s’appuyer sur le savoir-faire des professionnels pour aller vers les objectifs fixés. La position du professionnel doit être de proposer des objectifs et les moyens pour y parvenir et de respecter loyalement les orientations fixées par les élus. L’erreur à éviter pour le professionnel est de se positionner comme celui qui sait (ce qu’il a à faire et comment y parvenir) et qui n’a pas besoin de l’élu. Car chacun a besoin de l’autre.

 

Ainsi, même si cette exposition ne vous paraît pas correspondre à vos critères culturels, elle peut constituer une occasion d’engager un dialogue constructif et durable avec l’élu autour de la programmation culturelle de la bibliothèque. Il est tout à fait possible d’exprimer vos réserves de manière argumentée, tout en restant ouverte à la possibilité de faire de cette initiative une opportunité pour développer de nouveaux partenariats ou toucher des publics jusque-là éloignés de la bibliothèque.

 

De fait, comme le rappellent Patrick Bazin, ancien Directeur de la BML et Sylvie Beauchière dans le mémoire DCB : Pourquoi exposer : les enjeux de l’exposition en bibliothèque de Clarisse Gadala (2008) :

 

l’exposition est la seule façon de faire rentrer les élus dans l’établissement. Elle draine aussi un public qui ne vient pas autrement. Des évaluations ont été faites : le public des expositions n’est pas le public habituel de la bibliothèque.

 

Pour aller plus loin :

Guide Bibliothèques territoriales : dispositifs d'accompagnement de l'Etat et témoignages d'élus. Service du livre et de la lecture du ministère de la Culture, Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC), 2022