
Actuellement en stage de licence professionnelle Métiers du Livre : Documentation et Bibliothèque, vous êtes chargé de réaliser une analyse des collections de votre lieu de stage, une bibliothèque d'école d'ingénieur, avec 55% du fonds centré sur les sciences et techniques spécifiques aux formations en question, mais également un fonds de sciences humaines et sociales (17%), ainsi que de romans (12%) et de bande-dessinées (5%).
Vous avez découvert la notion d'âge critique et vous souhaiteriez l'appliquer pour le fonds dont vous avez la charge mais les exemples de d'évaluation d'âges critiques selon les domaines émanent de bibliothèques de lecture publique, or votre stage se déroule dans une bibliothèque universitaire et vous souhaitez savoir si cela implique une évaluation différente.
Vous faites référence dans votre question à une réponse de notre service, dans laquelle nous donnions une définition de l'âge critique :
Âge critique : Évaluation subjective, basée sur l’expérience professionnelle, déterminant pour un secteur donné la date à partir de laquelle l’information est obsolète
Source : Âge médian, moyen et critique d'un segment de collection. Questions ? Réponses! 19/10/2022
Comme vous l'aviez bien noté, cet outil est à forger en tenant compte du contexte, du type de bibliothèque, de ses spécificités, de ses missions, et de ses publics.
Comme l'indiquent Claudine Lieber et Françoise Gaudet dans le manuel Désherber en bibliothèque (p.23) :
La méthode idéale ou universelle de désherbage des collections n’existe pas. C’est au bibliothécaire sur le terrain qu’il revient de construire une politique, en fonction des missions attribuées à son établissement, des attentes de ses publics et de ses contraintes locales.
[...]
Rappelons en préambule qu’il n’est pas de politique de désherbage sans politique de développement des collections. Sans politique d’acquisition et de conservation clairement définie, on ne peut mettre en place une politique de désherbage cohérente. Toute opération de désherbage, quelle que soit son ampleur, commence par une réflexion sur les collections, sur leurs orientations, leurs domaines d’excellence, les publics auxquels elles sont destinées et sur les responsabilités de conservation qui incombent à la bibliothèque.
Ce travail est évidemment facilité par l’existence d’une charte des collections. À défaut, on collectera tous les documents permettant de préciser les principes qui gouvernent la politique de développement des fonds, en accordant une particulière attention aux trois points suivants
Quelles missions ?
C’est le point de départ de toute charte des collections. Il n’est pas inutile de rappeler les missions imparties à la bibliothèque et/ou de les repréciser avant de se lancer dans une opération de désherbage.
Ces missions sont généralement définies, de manière plus ou moins explicite, dans des documents de statuts divers : documents juridiques (décret de fondation des établissements publics…), lettres de cadrage, documents de communication (guide du lecteur), etc.
Quels publics ?
Quels sont les publics cibles, quels sont leurs besoins, leurs attentes ? Et de quels publics parle-t-on ? Des usagers actifs ou du public potentiel ? Du public que la bibliothèque a vocation à desservir, son public « naturel », ou de son public réel parfois très différent ? Du public d’aujourd’hui ou de celui de demain ?
On retrouve ici le traditionnel débat entre l’offre et la demande. La même interrogation entre en jeu dans les acquisitions comme dans les retraits, à une nuance près, qui n’est pas mince. Dans le deuxième cas, on s’interroge sur le devenir de documents qui ont déjà été soumis à l’appréciation du public – le public actif, le public d’aujourd’hui. Mais à trop s’aligner sur la demande, ne risque-t-on pas de pénaliser l’offre ? Les réactions du public actuel permettent-elles d’anticiper les attentes du lecteur de demain ? La crainte de léser l’utilisateur futur est particulièrement vive, et souvent légitime. Il reste que devant l’impossibilité de tout conserver dans l’hypothèse d’un improbable usage, il n’est qu’une parade : cerner au plus juste les besoins actuels et s’efforcer de prévoir les usages à venir des collections.
On rassemblera toutes les données utiles pour connaître les usages et les besoins des utilisateurs. Dans une bibliothèque universitaire, les programmes sont une indication sûre. Dans une bibliothèque de prêt, on examinera les statistiques de prêt, le taux de rotation des différents fonds, les cahiers de suggestions ; on lancera éventuellement une semaine test pour mesurer la consultation sur place [1][1]Muriel Amar, Bruno Béguet, « Les semaines tests », Bulletin des… ou une enquête auprès des lecteurs [2][2]Mener l’enquête ! Guide des études de publics en bibliothèque,…. Le personnel chargé du service public est aussi une source intéressante de renseignements.
Le niveau du public et sa composition sociologique sont généralement connus grâce aux renseignements fournis lors de l’inscription. Ces informations sont importantes : les enquêtes d’usage, par exemple, montrent qu’un public inexpérimenté comme celui des étudiants de L1 peut emprunter des ouvrages obsolètes, en particulier si l’offre d’ouvrages récents est limitée. Mieux vaut en ce cas faire preuve de vigilance dans l’offre en libre accès et n’accorder qu’une confiance raisonnée aux statistiques de prêt.
Quelles collections ?
Les collections sont la force et l’originalité de la bibliothèque, aucun fonds ne ressemble à un autre. C’est la raison pour laquelle il n’est pas de politique de développement de collection type.
Les collections sont à un instant T le résultat d’acquisitions onéreuses ou gratuites plus ou moins raisonnées, mais aussi de retraits, eux aussi plus ou moins maîtrisés, voire totalement accidentels (pertes, vols…). En dépit de quoi, elles ont normalement acquis au fil du temps une cohérence interne, qu’une opération de désherbage mal maîtrisée peut perturber.
Notons qu’à l’intérieur d’un même établissement la politique d’acquisition et de désherbage varie d’un fonds à l’autre, d’une discipline à une autre. Il est de toute évidence des fonds intouchables par essence, qu’on ne désherbe jamais ou quasiment jamais : collections patrimoniales, rares et précieuses, fonds locaux, fonds CADIST [3][3]Créés depuis 1980, les centres d’acquisition et de diffusion de…… D’autres devront être soumis à des révisions régulières : documents de prêt en libre accès, fonds jeunesse… Les missions de la bibliothèque concernant ces collections doivent être précisées, avant tout désherbage. Il s’agit en fait de repérer ce qui est majeur pour l’établissement, et qu’on ne retirera pas. On peut en effet considérer ainsi le problème posé par le désherbage : étant donné la mission de la bibliothèque, qu’est-ce qui ne peut pas être éliminé, quel est le noyau dur de la collection ? En corollaire, quelle est la part du fonds qui est éliminable, qui doit être éliminée ?
Ce tour d’horizon permettra de rédiger un document de synthèse, plus ou moins approfondi, mais qui se révélera quoi qu’il en soit très utile. L’exercice permet notamment :
- de clarifier idées et pratiques. Rédiger la politique de développement des collections permet de la préciser et d’harmoniser les pratiques à l’intérieur de l’établissement ;
- de légitimer la pratique du désherbage, si cette politique est diffusée officiellement. La politique en matière de désherbage est une information susceptible d’intéresser tutelles et usagers, au même titre que la politique d’acquisition, même si la première est plus délicate à exposer que la seconde. Vis-à-vis des tutelles, cette mise au point peut s’avérer une sage précaution, en cas de controverses ultérieures (cf. infra) ;
- de fournir un point de départ pour décliner des documents utiles dans la suite des opérations (vade-mecum pratique, à l’usage du personnel, notes de service, documents de communication, etc.).
Source : GAUDET, Françoise et LIEBER, Claudine (dir.). Désherber en bibliothèque : manuel pratique de révision des collections. 3 éd. Paris : Cercle de La Librairie, 2013.
Nous ajoutons qu'il est intéressant d'interroger quelques enseignants pour avoir leur avis sur la date de péremption de tel ou tel segment de collection et de consulter les bibliographies récentes pour essayer de repérer les titres qui s'imposent comme des "classiques" dans certains domaines.
Pour aller plus loin :
Désherbage. Dictionnaire de l'Enssib, 2014
Le projet de désherbage dans une bibliothèque universitaire : la bibliothèque de l'Université catholique de Lyon. Eric Férey. Mémoire du diplôme de conservateur des bibliothèques, Enssib, 1993
Quelle politique de désherbage pour la BU Sciences et STAPS du SCD de l’Université de Franche-Comté ? Marie Déage. Projet professionnel personnel, Enssib, 2008
Le désherbage d’un fonds spécialisé. Delphine Greuez. Rapport de stage. Mémoire en sciences de l'information et de la documentation, Université Lille 3, 2001.
Quelques règles pour le désherbage, la relégation et l'élimination des ouvrages. BU, Paris 8, 2001