Don de livres à des entreprises d’économie sociale et solidaire

Réponse de l'Enssib

Date de la réponse

Vous souhaitez savoir si une bibliothèque municipale peut donner des ouvrages issus de ses collections à une société privée type Ammareal, qui revend les ouvrages et reverse une partie du montant de la vente (assez minime) à un organisme caritatif. Vous vous interrogez également sur la mise en place d’une procédure de mise en concurrence, car il existe plusieurs acteurs économiques qui occupent ce créneau.

 

Des bibliothèques qui donnent de plus en plus leurs ouvrages désherbés à des entreprises de revente d’occasion

Comme le notait, déjà en 2017, Trévor Garcia :

Les bibliothèques sont également de plus en plus nombreuses à donner leur désherbage à des entreprises de vente de livres telles qu’Ammareal, et à en retirer des dividendes sur les ventes qu’elles réalisent ainsi indirectement.

Source : Le marché du livre d'occasion : changements et perspectives. Trevor Garcia. Mémoire du diplôme de conservateur des bibliothèques, Enssib, janvier 2017, page 82

 

 

Cette pratique est en effet bien ancrée comme le rapporte cet article de Livre-Hebdo :

Ammareal travaille aujourd’hui avec plus de 300 bibliothèques municipales, départementales, universitaires, de toute la France métropolitaine.

Source : « Ammareal s'agrandit et embauche ». Livres-Hebdo, Fanny Guyomard, 19.11.2021

 

Devant le constat de cet usage répandu, on peut en effet s’interroger sur sa légalité.

 

Cadre juridique : don à des entreprises d’économie sociale et solidaire

La LOI n° 2021-1717 du 21 décembre 2021 relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique énonce à son Article 13 :


Art. L. 3212-4.-Les documents appartenant aux bibliothèques de l'Etat, de ses établissements publics, des collectivités territoriales et de leurs groupements ne relevant pas de l'article L. 2112-1 et dont ces bibliothèques n'ont plus l'usage peuvent être cédés à titre gratuit à des fondations, à des associations relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association mentionnées au a du 1 de l'article 238 bis du code général des impôts et dont les ressources sont affectées à des œuvres d'assistance ou à des organisations mentionnées au II de l'article 1er de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire. Par dérogation aux articles L. 3212-2 et L. 3212-3 du présent code, ces documents peuvent être cédés à titre onéreux par ces fondations, associations et organisations.

 

Dans sa section décryptage concernant ce point, l’Abf indique :

Cet article légalise une pratique existante de don à des organismes qui peuvent redonner ou revendre. Cela concerne des associations, des fondations et des entreprises d’économie solidaire.

Source : Mode d'emploi de la loi Robert sur les bibliothèques territoriales. Association des bibliothécaires de France, 25 octobre 2022, page 11


 

La définition d’une entreprise sociale et solidaire (ESS) est précisée dans l’Article 1 de la LOI n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire.

 

Il convient donc de vérifier si l’entreprise à qui l’on cède ses ouvrages désherbés relève de ce champ.

 

En ce qui concerne Ammareal, il s’agit d’une « Entreprise solidaire d’utilité sociale » (ESUS). C’est un label qui témoigne de son insertion dans le périmètre de l’ESS :

Pour être éligibles à l’agrément « ESUS », les entreprises de l’économie sociale et solidaire doivent remplir les conditions suivantes :

• être une entreprise de l’économie sociale et solidaire au titre de l’article 1 de la loi du 31 juillet 2014,

• [...]

Source : Economie sociale et solidaire : qu’est-ce que l’agrément « Entreprise solidaire d’utilité sociale » ? Site du ministère de l’Économie, 10/09/2024

 

Nous avons retrouvé l’agrément d'Ammareal, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du département de l'Essonne :

Arrêté préfectoral n° 2022/PREF/ESUS/22/008 valant agrément ESUS du 13 janvier 2022 pour l'entreprise SAS AMMAREAL sise à Athis Mons 91200

Source : Recueil des actes administratifs, N° 013 publié le 20 janvier 2022. Préfecture de l’Essonne, page 2

 

 

Cadre juridique : cession de documents désherbés et mise en concurrence

Nos recherches n’ont pas permis de mettre en évidence de procédure de mise en concurrence au sens strict du terme.

 

Le manuel de référence sur le désherbage indique en revanche la nécessité de la délibération de la tutelle, en l'occurrence pour vous du conseil municipal :

Dans tous les cas, pour que les documents puissent être aliénés, une délibération de l’instance compétente est indispensable : c’est la traduction réglementaire d’une décision qui, successivement, cesse d’affecter l’ouvrage au service de la bibliothèque, le retire des collections de celle-ci, autorise sa vente ou sa destruction et prend acte de l’aliénation, dont l’effet est de sortir définitivement l’objet du patrimoine de la collectivité propriétaire.

Source : Désherber en bibliothèque : manuel pratique de révision des collections. sous la direction de Françoise Gaudet et Claudine Lieber [3e édition]. Éd. du Cercle de la Librairie, 2013, page 121

 

Dans les diverses délibérations communautaires que nous avons pu consulter, Ammareal est choisi en dernier recours, quand toutes les autres options de dons ont été épuisées : braderies à destination des usagers, dons à des associations locales. En voici un exemple :

Exposé des motifs :

La vente des documents est l’occasion pour la bibliothèque de créer un évènement directement lié à la bibliothèque et de rencontre les publics d’une autre façon.

C’est aussi pour beaucoup de personnes l’occasion d’acheter des livres, des revues, CD, DVD, à des prix très bas et de faire entrer des objets culturels à la maison.

 

En 2022, 3246 documents ont été mis en vente dont 1990 livres.

703 documents ont été vendus dont 459 livres.

 

Les livres non vendus sont proposés aux associations caritatives type Secours Populaire, qui choisissent les ouvrages pouvant les intéresser. Cette année, les associations sollicitées ont décliné l’offre proposée.

 

Les documents non vendus et non repris par les associations sont alors définitivement pilonnés ce qui n’est pas satisfaisant.

 

C’est pourquoi, il est proposé de signer une convention de partenariat avec l’entreprise Ammaréal

Source : Extrait du registre des délibérations. Conseil municipal de Saint-Etienne du Rouvray, Séance du 23 mars 2023, pages 91 et 92


 

Ainsi, même s’il n’existe pas de procédure de mise en concurrence, compris dans son sens traditionnel, il est tout à fait envisageable de préparer, en amont de la délibération de la tutelle, des éléments comparatifs sur diverses entreprises de l’économie sociale et solidaire en mesure de récupérer les documents désherbés, afin de permettre aux élus de trancher entre différentes options.

 

Afin de bénéficier d’un accompagnement de terrain, nous vous conseillons de contacter votre bibliothèque départementale.

 

Veuillez noter que cette réponse n'a pas de valeur juridique.


 

Pour aller plus loin :

Le livre d'occasion 2023. Sofia et ministère de la Culture